Rapport pour une académie

Le spectacle débute par ces mots énigmatiques : 

« Mesdames et Messieurs les Académiciens, vous me faites l’honneur de m’inviter à soumettre à l’Académie un rapport sur ma vie passée de singe. »

Les spectateurs, promus au rang d’étranges Académiciens, l’écoutent, interloqués. 

Originaire du Ghana, capturé par le cirque Hagenbeck, il nous raconte sa vie dans une cage, avec l’absence d’issue qui en découle. Il lui fallait en inventer une. Pas une fuite ; ni la liberté en tant que telle, puisque «  la notion de liberté compte parmi les principes les plus nobles, tout comme la tromperie qui l’accompagne. »

La seule issue : arrêter d’être un singe ; combattre sa nature simiesque ; expulser sa singitude.  Il narre sa ligne de conduite pour s’établir dans la société : se mettre à parler, à imiter les humains pour réussir, en cinq années, à devenir un singe libre, de mieux en mieux intégré dans le monde des humains. Dans une sorte de Métamorphoseà l’envers, cette autre nouvelle de Kafka dans laquelle Grégor Samsa, un jeune voyageur de commerce se transforme en blatte.

Nous sommes bien chez Kafka, mais un Kafka loin de l’univers atrocement pesant, sinistre, absurde, cauchemardesque que l’on connaît par ailleurs ; c’est seulement un Kafka à l’humour quelque peu grinçant, avec parfois de nets accents de drôlerie ; un Kafka qui prend un malin plaisir à nous dérouter, nous pousser à nous interroger.

Et l’excellent Mahmoud Ktari, tout à l’image de ce Kafka malicieux, nous égare sur sa vraie nature, tant il use de registres changeants entre l’homme et l’animal. 

Sommes-nous en présence d’un homme resté singe ? Est-il mi-homme, mi-singe ? Sommes-nous dans un rêve ? Une affabulation ? Sommes-nous en présence d’un fou qui se prend pour un singe et retrouve de temps à autres sa nature humaine ? 

Et quel est ce public ? Qui sont ces étranges académiciens ? 

Chacun aura sa propre interprétation, ce qui est le propre des bonnes pièces.

Ce spectacle ( sur la base d’un texte traduit et adapté par Vincent Freulon) brillamment et subtilement mis en scène par Khadija El Mahdi, est magnifiquement interprété par un jeune comédien, Mahmoud Ktari, d’une réelle humanité. 

Une vraie performance d’acteur. Souvent touchant, parfois amusant. Une belle aptitude à passer du rôle d’homme à celui de singe. Une présence inspirée, incarnée, aux accents souvent mystérieux. Un acteur qui nous fait vivre une heure d’intense émotion sur un rythme trépidant, et réussit à nous tenir en haleine jusqu’au bout.

Il finira par ces mots : « Je ne veux pas que les humains me jugent, je veux seulement faire part de ce que je sais », avant de se recroqueviller dans une cage.

On retrouve la rue d’Amphoux fasciné, bluffé ; ému, troublé, voire ébranlé !

A voir absolument au Théâtre de la Croisée des chemins…

un spectacle A la Croisée de l’humanité et de l’animalité, justement !

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