Préface

Les enfants ont droit à la parole, c’est un fait acquis aujourd’hui. Mais les écoute-t-on assez, discerne-t-on la pertinence de ce qui passe souvent pour babil ou innocence un peu niaise ? N’a-t-on pas trop tendance à brider leur expression au nom des convenances ou des bonnes manières ? 

Ce recueil est issu des situations cocasses ou sérieuses, touchantes ou délicates, auxquelles peut conduire la cohabitation de trois frères, et nous révèle le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, la famille, l’école, la société.

Au sein de cette fratrie, ils passent de l’allégresse à la peine, se posent des questions ou énoncent des sentences, lancent des mots innocents pleins de fraîcheur ou des remarques perfides, alternent disputes mémorables et scènes de tendresse, actes généreux ou petites vacheries, apprennent leurs droits et devoirs, forgent leurs caractères ; bref, ils découvrent la vie.

Leur esprit vagabonde devant les multiples sollicitations du réel, qui font surgir en eux des images poétiques ou farfelues, des confusions sémantiques ou des approximations amusantes, des pointes d’humour, et au-delà, des réflexions d’une grande maturité.  

Car les enfants savent tout, très jeunes. Ils connaissent le bonheur, la plénitude ; mais aussi la gravité, la peur. Leur force est la spontanéité, loin des faux-semblants et des calculs, des mots creux et autres automatismes vertigineux propres aux adultes. Ils osent poser et résoudre les questions primordiales, ils vont au cœur des choses, ils nous surprennent par la fulgurance de leurs intuitions. 

L’innocence, tel un sésame, leur donne accès à l’essentiel que la plupart des hommes aspirent à retrouver : la joie pure d’exister, dans la simplicité lumineuse de l’instant présent ; l’aptitude à aimer ce qui est, à se fondre dans un monde merveilleux.

Ces petits philosophes de l’éternité invitent les adultes, souvent blasés ou compassés, gagnés par l’esprit de sérieux, à revivre leur propre jeunesse, et à continuer de s’émerveiller devant le mystère du monde. Ils nous permettent de tendre l’oreille à notre enfant intérieur, enseveli sous les débris d’une vie d’homme, de nous interroger sur nos priorités et nos valeurs, et peut-être, d’accéder à des vérités enfouies en nous. 

Qu’on le veuille ou non, les enfants élargissent notre méditation ; ils enrichissent notre approche de l’existence, bien mieux qu’un manuel de psychologie, un livre de développement personnel ou un roman de Balzac, si nous sommes disposés à nous mettre à leur portée, écouter les leçons qu’ils délivrent sans en avoir conscience : des leçons de candeur, de détachement, de docilité, où la simplicité apparaît comme le sceau du vrai. Bref, ils sont le tableau de l’innocence perdue que chacun pleure secrètement.  

Certes, ils sont dans leur monde, ils ont leur représentation du monde qui se heurte parfois à celle des adultes. Certes, des caprices, des rivalités, des emportements existent, et leur langage est aussi celui de la méchanceté ou de la tyrannie, de la fourberie ou de la mauvaise foi, de l’impertinence ou de la crudité. Certes, derrière leur innocence supposée ou leurs remarques lancées impromptu, ils font parfois preuve d’une implacable lucidité, voire d’un certain cynisme, et manient un humour sarcastique. Au total, ils sont loin d’être des anges, et il ne s’agit nullement d’idéaliser le monde de l’enfance.

Mais gardons-nous de l’adultomorphismeet des préjugés qui nous porteraient à croire, ayant été enfants jadis, que nous savons nécessairement comment ils pensent. Les enfants ne sont pas des adultes en miniature – inachevés, imparfaits, incomplets –, ils ne fonctionnent pas comme nous, ils ont une sensibilité différente, et en outre, les enfants d’aujourd’hui ne sont évidemment pas ceux d’hier.

Si la mission des parents consiste à leur inculquer les règles de la vie en société et les aider à accepter l’absence du Père Noël, bref à prendre leur envol en développant leurs ressources intérieures, sans doute convient-il avant tout de respecter l’enfant en eux, pour qu’ils puissent un jour le retrouver, intact, sur un plan différent.

Pourquoi la vérité serait-elle le monopole des adultes ? Ecoutons ces êtres à part entière, enfantins et non infantiles, considérons-les pour eux-mêmes, regardons-les comme de véritables personnes, dignes de respect, et non comme des petits, insignifiants. Ecoutons leur questionnement, le questionnement cher à l’âge tendre, en ce qu’il nous rapproche de l’universel, de l’universel présent en chacun de nous. Ecoutons la vérité des enfants, qui, pourtant partielle et provisoire, n’est pas sans rappeler celle qui fut jadis la nôtre, et le reste peut-être en secret.

Donnons-leur la parole, tentons de renouer avec l’esprit d’enfance et la magie des beaux jours où l’on a la vie devant soi !

Fabrice GLOCKNER

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